“Les Bienheureux” (2017 / 102′ / France, Algérie, Belgique) sera projeté dans le cadre des “Beirut Cinema Screenings” (22-25 Mars 2018), le Vendredi 23 Mars à Metropolis Empire Sofil (Ashrafieh, Beirut) à 20h, en présence de la réalisatrice.
Beirut Cinema Screenings: La période post-guerre civile ou encore le dilemme rester ou émigrer sont-ils des sujets très importants ?
Sofia Djama: A vrai dire Les Bienheureux n’est pas un film sur la guerre civile, mais plutôt sur la situation post-traumatique. Ce qui m’intéressait c’était de narrer cet état de sidération, comme si nous étions figés telle une personne qui perd connaissance face à un trauma que l’on ne nomme pas, provoquant ainsi une espèce d’amnésie, mais j’ai décidé d’avoir un contre-point en racontant la vie par des personnes en résistance, des jeunes qui s’inventent des espaces de liberté, donc des êtres qui sont en mouvement par la nature même de leur âge, et la vie c’est le mouvement. Si bien qu’en réalité la question du départ n’est pas pour moi l’enjeu fondamental, et peu importe si Amal partait ou pas à la fin. À quoi bon partir si on n’a pas envie de changer en soi ? C’est l’idée de rupture qui est la clé de voûte du film. Quand je dis rupture, je ne parle pas vraiment de la rupture relationnelle du couple, mais la rupture avec une vision, avec l’angoisse de l’avenir, avec le passé, avec la nation, la société, avec l’idéologie, avec tout ce qui nous alourdit et nous empêche d’avancer, faire des choix en somme.
J’ai le sentiment que l’on peut être en mouvement sans pour autant quitter le pays. Pour ma part j’ai décidé de partir il y a 5 ans, parce que je tournais en rond, et ça ne me pose pas de problème, peut-être parce que j’ai désacralisé l’idéologie, peut-être parce que je considère que j’ai le droit de goûter au reste du monde comme l’expatrié occidental sans être dans la culpabilité de l’appartenance : c’est drôle quand un jeune arabe part, on lui confère le devoir de porter le poids d’un pays, d’une nation, de l’histoire dans ses bagages, il emmène déjà de la nostalgie avant même d’être parti, quand il s’agit d’un jeune européen il part léger, curieux de l’aventure qui l’attend, on dit de lui qu’il va se nourrir.
C’est drôle depuis que je me suis “expatriée” en France je suis désormais plus souvent en Algérie. Paris m’a réconciliée avec Alger.
BCS: Vous faites un clin d’œil au film Nahla (1979, Farouq Beloufa) qui a été tourné en pleine guerre civile au Liban, pourquoi l’avoir choisi ?
SD: Je ne sais pas, c’est typiquement le film que j’ai emporté avec moi sans trop le saisir, je l’ai vu trop jeune la première fois puis je l’ai revu de nouveau plus tard, mais ce qui m’est resté en vérité c’est cette métaphore de la voix que Nahla perd pendant le concert, comme si c’était le Liban qui perdait à ce moment aussi sa voix au moment où une énième guerre vient déchirer le Liban. Dans Nahla, j’y voyais de la modernité, de la féminité, de la résistance, du féminisme, de l’universel, de l’urbanité, de la topographie.
Ce portrait de ces 3 femmes, chacune avec ses fêlures, chacune avec ses tragédies et pourtant tellement vivantes ! Farouq Beloufa, le réalisateur, a filmé la vie dans un pays qu’on ne cessait pas d’abîmer. Je crois que c’est le seul réalisateur algérien qui ait fait de son protagoniste Algérien (le journaliste interprété par Youcef Sayeh) un voyageur. C’est bon de savoir qu’on est capable de voyager, de regarder avec curiosité le reste du monde. Ce personnage m’a rassurée en fait sur le droit au mouvement des arabes. Puis, c’est un film de rupture, je n’ai pas cessé de penser à Nahla pendant que je préparais mon film, d’où cette séquence de Nahla quand elle perd sa voix c’est un peu une façon de relier Amal à Nahla dans leur brisure et puis le cocktail au moment où Maha se confronte à Michel à propos de la Palestine mais au fond à propos de Nahla …
BCS: C’est ta première visite au Liban, pourquoi cette relation avec cette ville que tu n’avais jamais visitée?
SD: Quand j’étais petite, j’ai été tristement bercée par la guerre au Liban, par Sabra et Chatila dont je ne comprenais pas les enjeux car trop jeune. Intuitivement, je n’aimais pas la manière dont l’école nous l’enseignait car je craignais qu’on écorche aussi l’histoire d’un pays.
Évidemment Nahla a contribué à cet attachement, ma mère aussi. Elle y est allée deux fois dans les années 60 avant sa mort, son souvenir heureux qu’elle répétait en boucle tant qu’elle pouvait parler, était lié à ses deux voyages libanais.
Mon père aussi m’avait parlé très vaguement d’un réseau libanais qui avait soutenu la guerre d’indépendance en Algérie.
En tout, très étrangement, je ne me sens pas liée au Liban parce que j’ai grandi en Algérie pendant la guerre civile.
BCS: Comment c’est de travailler avec des gens comme Sami Bouzjali, Faouzi Ben Saiidi surtout que ce dernier est réalisateur en même temps ?
SD: J’ai adoré travaillé avec mes comédiens, même si je dois admettre que la partie des jeunes me donnait peut-être davantage de plaisir, car la place à l’improvisation était bien plus importante.
Faouzi a été un acteur d’une grande générosité, il n’a jamais agi en tant que réalisateur, sauf une fois au moment le plus opportun : le second jour quand il voyait qu’il y avait des personnes de l’équipe qui ne croyaient pas en mon regard et donc à mes choix de mise en scène. Là, Faouzi m’a regardée, puis m’a simplement dit : “ne lâche rien, ton plan comme tu le vois toi va être superbe”. C’était important qu’il me le redise à ce moment-là car je commençais à douter et il m’a donné la force de résister. Faouzi est un monsieur pour qui j’ai une très grande amitié.
BCS: Qu’apportent, à un réalisateur, des prix prestigieux comme celui du festival de Venise ou Dubaï ?
SD: En fait, les prix apportent simplement de la joie, et puis c’est aussi la possibilité de voyager, d’aller à la rencontre des autres. Les prix c’est une occasion de plus pour faire la fête, et puis un peu de respiration quand ils sont dotés ! Venise c’était la première fois, donc c’était aussi beaucoup d’émotion, une émotion très irréelle. On a tous flotté, il me semble.
بيروت…وما أدراك ما بيروت… بس التذاكر وايض غالية:
https://www.altayyaronline.com/airlines/ar/شركة طيران الشرق الأوسط اللبنانية/ME-airline.html